Interprété par 7Starr, le danseur primé du Krump, Anima / Darkroom se plonge dans le fossé entre solitude et communion. Dans ce solo, le lexique brut de cette danse de rue née à Los Angeles est en dialogue avec un alphabet de lumière, silence, bruit et noirceur. Reconnus pour sa rapidité d’expression sans équivoque, les matériaux essentiels du Krump s’étendent dans cette collaboration sur des nouvelles partitions. Le sentiment terne tranchant du deuil souscrit la chorégraphie de Lucy M. May. Son échafaudage soutient le freestyle lucide du soliste. Avec des conceptions d’éclairages par Jon Cleveland, musiques de Patrick Conan et le vétéran du Krump Big Rulez, l’effort pour écouter et être entendu, pour témoigner et être vu résonnent. Me vois-tu?

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L’entrée dans la salle de La Chapelle se fait dans une bonne ambiance grâce à la présence charismatique du danseur 7Starr, qui n’hésite pas à interagir directement avec le public. Puis lentement, ses interactions se transforment en stand-up avant de glisser vers le mouvement, au début précis puis de plus en plus fragmenté. Le Krump est une danse d’une grande exigeance qui a la spécificité d’être très expressive (que certain.es qualifieraient injustement d’agressive) mais c’est ce qui la rend justement si riche. Ici il n’est pas question de gagner ou perdre. On assiste à une danse qui, par sa force brute et la richesse de son langage, nous permet d’accéder à une dimension sacrée de notre compréhension du monde.

Le spectacle se déroule par fragments et cherche par divers moyens (mouvements, scénographie, éclairage, musisque) à décortiquer ce qui naît et grandit en nous grâce à cette danse. Il faut également ajouter que le krump tire sa spécificité dans le fait que chaque interprète propose son univers unique, et donc son propre langage corporel. Il y a quelque chose d’incroyablement rassembleur et on a pu y avoir parfois accès dans le spectacle, surtout dans les moments où 7Starr exécute quelques minutes d’une danse bien sentie, jusqu’à aller chercher de nombreuses réactions de soutien dans le public. C’est un sentiment grisant que l’on ne retrouve que trop rarement dans nos salles de spectacles, où parfois l’art vivant contemporain préfère se regarder dans le miroir plutôt que de regarder les gens qui se trouvent autour de lui. Comme quoi il est possible d’être assidu et rigoureux dans sa démarche sans tomber dans la rigidité et l’hermétique de l’art contemporain – sans pour autant céder à la facilité de plaire au public.

Le spectacle vaut le coup d’être vu rien que pour l’ambiance qui s’en dégage, mais on ne peut que féliciter le talent et la fougue du danseur 7Starr. C’est un spectacle qui fait réfléchir tout en faisant du bien – et on sort de là complètement galvanisé.

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30 septembre et 1er octobre 2019

La Chapelle – Scènes contemporaines

lachapelle.org

(Dans le cadre du festival Gutta Zone 2019 : https://www.facebook.com/events/616740302172537/)