La route est longue d’un sous-sol de Repen­ti­gny jusqu’à la pla­nète Tatouine. Sur­tout si l’on passe par le Super C, Cen­tral Park et le sei­zième étage du CHUM. Mais, pour l’esprit obses­sif, rêveur et décalé du nar­ra­teur, ces détours sont autant d’aventures salutaires. Après des recueils remar­qués, dont Les vol­cans sentent la coco­nut, fina­liste au Prix des libraires en 2016, et La fatigue des fruits, Jean-­Christophe Réhel explore dans ce roman hors norme, tou­chant et drôle, les thèmes qui lui sont chers: la soli­tude, la fatigue et la maladie.

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Ce que vous lirez pendant 288 pages (parce qu’on vous le conseille déjà, avant même de vous parler plus profondément du livre) peut se comparer au parcours que l’on fait en voiture, le soir, sur une route de campagne. Une grande noirceur, tranquille, percée de lumière au rythme des lampadaires au bord de la route.

Le long chemin du narrateur, alors qu’on le suit dans son quotidien, alterne tellement entre ce qui nous alourdit et ce qui nous fait du bien que l’on se demande parfois si ce qui nous fait du bien n’est pas également responsable de la lourdeur qui nous accable. Tout s’entremêle, tout se brouille. Les limites entre la fiction et la réalité s’épousent et font des enfants. Le Super C (lieu déprimant, mais rassembleur de solitudes) dépose la princesse Amidala au pas de la porte du monde mystérieux du narrateur. Le quotidien semble si lourd. Les journées sont longues. Mais les personnages semblent si lumineux. Si humain.es.

Le fait de nommer certains lieux ou personnages du récit avec des noms venant de différents univers (sa chambre sous-sol Dagobah, le beau-frère de sa soeur Tom Brady, son propriétaire qui ressemble à Joe Pesci dans Goodfellas), fictifs ou non, est une idée brillante. Cela nous permet de prendre du recul sur la réalité, parfois déprimante, des situations (calculer à la cenne près ce qu’il reste dans le compte pour payer le loyer, décider d’aller s’acheter 3 trios chez McDo, devoir vendre une partie de son mobilier pour déménager dans une chambre plus petite, lâcher sa job pour suivre un traitement intraveineux à domicile).

Pourtant, tout n’est pas triste dans le livre de Réhel. Certaines moments sont hilarants (envoyer chier le nouveau locataire de son ancien appartement et se faire poursuivre par ledit locataire à travers les rues enneigées de Repentigny, avoir le  »syndrome du babouin », vomir sur le mur blanc chez les invités à Noël parce que l’on a bu trop de crème de menthe – eurk). Ces moments sont salvateurs, même s’ils sont loin de n’être que des comic relief. Ils nous permettent de nous connecter à l’absurdité de nos existences. On se demande même, comme d’habitude, si la réalité ne dépasse pas la fiction.

Les phrases sont courtes, mais efficaces. Divisé en petits chapitres non numérotés, le livre se construit presque comme une suite de mantras. Une situation apparaît, se développe, trouve (ou non) un dénouement et se termine dans un entremêlement poétique de raisonnements parfois délirants, mais si nécessaires pour nous permettre d’imprimer en lettres de feu l’existence du narrateur dans notre psyché.

C’est un livre qui fait autant de mal que de bien. Un livre qui ne laisse pas indifférent et qui dévoile une intimité gigantesque. Une traversée du désert.

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Ce qu’on respire sur Tatouine

Jean-Christophe Réhel

Del Busso – delbussoediteur.ca

288 pages — 24,95 $ — ISBN 978-2-924719-48-0