Une agente immobilière guide des visiteur.es à travers une maison particulière qui semble cacher plus que ce qu’il n’y paraît.

Un nourrisson grandit dans un paysage désolé et entouré de bêtes étranges et difformes.

Bienvenue dans l’univers à la fois onirique et troublant de Jesse Jacobs !

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Auteur et illustrateur d’origine canadienne vivant en Ontario, Jesse Jacobs est un des artistes les plus influents des années 2010. Son style unique d’une très grande précision a su ravir les amateurs.trices de romans graphiques dès ses débuts. Ses livres paraissent souvent en éditions limitées ce qui rend certains d’entre eux introuvables, ou excessivement chers (notamment le cas de Even the Giants, paru chez Koyama Press).

Cette fois-ci, nous revenons sur deux des dernières oeuvres de Jacobs parues respectivement en 2017 et 2019 (They live in me et Baby in the boneyard).

Ce qui nous marque à prime abord avec le travail de Jesse Jacobs, c’est son style graphique très précis et jouant avec diverses géométries pour nous faire apparaître des personnages, des monstres ou des objets du quotidien, comme si chaque entité était à la fois habitée par plusieurs autres entités, ou encore comme si chaque entité vibrait d’énergies ancestrales.

Dans They live in me, le récit nous amène à suivre un couple désirant se trouver un nouveau chez soi. Invités par l’agente immobilière, ielles parcourt la maison et imaginent leur futur. Mais les récits se superposent et au fil des cases, le couple vieillit, accouche d’un enfant et le voit grandir. Seule l’agente ne semble pas vieillir d’une seconde. La superposition du quotidien et du fantastique fonctionne ici à merveille et nous permet de fracturer l’espace-temps pour accéder à une interprétation plus profonde de l’engagement, mais aussi du piège potentiel qu’il peut représenter.

Dans Baby in the boneyard, nous suivons un nourrisson apparemment abandonné dans une lande désolée, recueilli par un troupeau de bêtes plus qu’étranges. L’histoire, narrée par le protagoniste, nous plonge dans le ressenti du bébé et de son expérience sensorielle. Bien qu’en apparence terrifiante, ces bêtes font malgré tout ce qu’elles peuvent pour prendre soin du bébé. Mais ne connaissant pas les besoins essentiels d’un nourrisson humain, ces bêtes lui font parfois plus de tord que de bien. Malgré le milieu hostile dans lequel le bébé évolue, on ne peut que prendre ces espèces sauvages en pitié, débordant d’ignorance et de maladresse. L’humain grandit à travers un univers qui est à l’opposé de celui dans lequel il devrait évoluer. Il comprend comment vivent ces animaux. La reproduction n’existe pas au sens propre : les bêtes se séparent en deux de manière exponentielle jusqu’à atteindre une capacité maximale ( »tout dans la nature a ses limites »), avant se de résorber jusqu’à une entité unique. Elles possèdent certains traits que nous reconnaissons chez les humains ( »au fur et à mesure qu’elles devenaient plus nombreuses, elles semblaient devenir également plus joyeuses et agitées, comme si elles appréciaient la présence des autres »). Rappelant parfois l’histoire du Livre de la jungle de Rudyard Kipling, Baby in the boneyard y ajoute une couche philosophique et métaphysique.

Avec ces deux livres, Jesse Jacobs poursuit son exploration tant au niveau graphique que narratif. Les amateurs.trices de romans graphiques qui ne le connaissent pas encore seront probablement ravi.es de tomber dans son univers étourdissant, prenant et fantastique.

Pour ceux.celles qui le connaissent déjà et affectionnent son travail, sachez que Jesse Jacobs a travaillé sur le jeu-vidéo Spinch, sorti en septembre 2020. Le jeu est disponible sur Steam (pour Mac et PC) ainsi que le E-shop de la Nintendo Switch.

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They live in me – Jesse Jacobs

Hollow Press, 2017

8” x 11.75” – 32 pages – Noir et Blanc

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Baby in the Boneyard – Jesse Jacobs

Hollow Press, 2019

8.25” x 11.6” , 28 pages, Bi-chrome

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Site personnel de Jesse Jacobs : https://www.jessejacobsart.com