La guerre fait rage. Un déserteur québécois s’est réfugié dans l’Ouest américain où il gagne sa croûte en participant à des concours d’imitation de Charlie Chaplin. L’objectif de Philippe est de rejoindre son oncle à Détroit en attendant de pouvoir retourner à Montréal. Mais la route est longue et périlleuse, au détour de paysages désertiques ravagés par le soleil, la neige et la solitude. En suivant les chemins de fer, Philippe fait la rencontre d’individus mystérieux, qui peuvent à la fois le sortir du pétrin et l’enfoncer dans un enfer sans nom.

**

La Grande Noirceur (The Great Darkened Days) est une allégorie des temps (post)modernes. Peut-être parce qu’il est une des personnes les plus lucides de son époque, Philippe a décidé de fuir sa province pour échapper à la conscription. Sage décision que beaucoup d’autres auraient pris s’ils en avaient eu la possibilité (ou le temps de voir venir). Afin d’échapper à un conflit ravageur et complètement inutile, (vrai pour toutes les guerres) profitant plus souvent qu’autrement à une élite économique, Philippe dit adieu à sa famille pour une durée indéterminée. Il se retrouve ainsi à errer dans l’Ouest américain, lieu de nombreuses conquêtes, à commencer par la ruée vers l’or. Dans son parcours, il rencontrera de nombreux personnages tous.tes autant étranges les un.es que les autres, un peu à la manière du Petit Prince alors qu’il saute d’une planète à l’autre, à la poursuite de sa quête. Dans ce cas-ci, la quête se résume à fuir et à attendre que le mal soit terminé. Le désert est à la fois le lieu physique du tournage et la métaphore de ce que le personnage de Martin Dubreuil (toujours aussi bon) traverse.

Dans La Grande Noirceur, on vogue entre réalisme, onirisme et film d’horreur, ce qui n’est pas sans rappeler parfois L’âge des ténèbres de Denis Arcand dans ce traitement où nous ne sommes jamais certains de ce qui est réel ou pas. Certaines scènes complètement décalées (la chorégraphie inspirée de Chaplin alors que Philippe danse dans le désert sur Losing my religion de R.E.M – on est dans les années 30…!) se superposent ainsi à des dialogues quotidien nous faisant réfléchir sur ce que nous fuyons et pourquoi.

On appréciera que le film soit majoritairement en anglais (sous-titré en français), même si c’est un film québécois avec une distribution principalement francophone. C’est en effet chose rare sur nos écrans et ça fait du bien. Voir des acteurs.trices parler en anglais avec un bon accent québécois est quelque chose de relativement rare sur nos écrans. Les acteurs.trices sont tous.tes très bien dirigées par Maxime Giroux (- Romain Duris en psychopathe de première offre une performance solide le montrant en pleine possession de ses moyens). Le mélange des origines (France, USA, Québec, Belgique) nous offre ainsi une belle palette de jeu, le tout merveilleusement soutenu par la direction photo de Sara Mishara. À travers cette traversée du désert (dans tous les sens du terme), l’immensité des paysages qui semblent avaler le protagoniste nous offre un humble rappel que nous ne sommes pas grand chose dans tout cette folie orchestrée par les plus riches.

Un film de Maxime Giroux

1h34 – Conte Dramatique – Québec – 2019

Présenté au magnifique petit Cinéma Moderne.